Article de Michel Soudais (www.pour-politis.org)
La dernière proposition de Nicolas Sarkozy, créer « un ministère de limmigration nationale et de lidentité nationale », reprend une vieille idée du Front national. Sans même sembarrasser des précautions prises par le mouvement dextrême droite.Rappel des faits. Jeudi soir, sur France 2, Nicolas Sarkozy est interrogé par Arlette Chabot dans lémission « A vous de juger ». La journaliste veut savoir quels sont ses « priorités » et « à quoi ressemblerait le gouvernement de Nicolas Sarkozy ». Réponse du ministre-candidat : « Quinze ministres. Des ministères qui ne ressembleraient pas à ceux daujourdhui, parce que je crois quun pays de 64 millions dhabitants doit avoir un nombre limité de ministères, mais des ministères rebâtis. Par exemple, je veux un ministère de limmigration nationale et de lidentité nationale, parce quaujourdhui le dossier de limmigration est explosé en trois ministères différents. »
Sarko reprend le programme du FN
Notons dabord un réflexe éloquent. Quand il entend le mot priorités le président de lUMP répond dabord immigration. En soi, cest déjà une information. Et le sujet semble avoir, pour lui, une telle importance quil lui réserve un ministère de plein exercice (ce nest pas le cas aujourdhui) dans un gouvernement très resserré. Lidée nest pas nouvelle. Cest en effet Bruno Mégret qui, en novembre 1991, avait suggéré, le premier, de regrouper lensemble des administrations qui ont à traiter les questions liées à limmigration sous la tutelle dun seul « ministère de la population » . Cette mesure était la septième des 50 mesures « concrètes » sur limmigration que le délégué général du parti de Jean-Marie Le Pen avait concocté, suscitant un tollé général. « Il importe de doter lEtat dun outil capable de traiter globalement lensemble du problème de limmigration, écrivait-il. A cette fin sera institué un ministère de la population ayant autorité pour coordonner laction de lensemble des administrations sur les questions dimmigration. »Surtout, lier immigration et identité nationale, comme le fait le ministre-candidat de lUMP, accrédite lidée que larrivée détrangers sur notre sol constitue une menace pour lidentité française. Cest exactement ce que prétend et martèle Jean-Marie Le Pen, depuis près de vingt ans. De quoi justifier le message brutal dune affiche (prémonitoire ?) réalisée par le 9e collectif des sans-papiers et Act-Up. Aux élections législatives de 1993, le programme du FN (300 mesures pour la renaissance de la France) souvrait sur une première partie consacrée à « lidentité » avec un premier chapitre qui portait sur « limmigration ». « La menace la plus grave qui pèse aujourdhui sur lavenir de la France est le mondialisme. Car, en voulant détruire les nations, mélanger les peuples et les cultures, supprimer les frontières et les différences, cest à notre identité même que sen prennent les tenants de cette nouvelle utopie », pouvait-on y lire.Nicolas Sarkozy avait déjà repris au parti dextrême droite lun de ses slogans : « La France, aimez-là ou quittez-là ! » Son nouvel emprunt au discours lepéniste na rien dun dérapage. Vendredi, le président de lUMP a dailleurs défendu sa proposition devant les journalistes venus assister à son meeting. Avant de lancer à ses partisans : « LHistoire de France, la fierté dêtre français, lidentité française sont au cur de la campagne électorale. »
Réprobation pas tout à fait unanime
Dans le monde politique, seul le FN a approuvé la proposition de Nicolas Sarkozy, tout en ironisant sur cette « petite opération de racolage » sur ses terres. Cette réprobation générale, à gauche et parmi les associations antiracistes et de défense des droits de lhomme, en serait presque rassurante, nétaient quelques bémols.« Une frontière a été franchie », estime ainsi François Bayrou pourtant partisan lui aussi de créer un ministère de limmigration (la preuve sur son site, sans lier ce dernier à une quelconque protection de lidentité française. Côté médias, la proposition de Nicolas Sarkozy serait passée inaperçue sans les protestations politiques et associatives. Au cours de lémission de France 2, Arlette Chabot na pas cru utile de la souligner. Dans le Monde du lendemain, cest tout juste si le rubricard la mentionne. Ailleurs, les réactions des éditorialistes se comptent sur les doigts dune main. Et samedi matin, à écouter Ivan Levaï, faire sa revue de presse sur François Bayrou sans évoquer le projet sarkozyste sinon pour citer, sans explication, le titre en forme de jeu de mot de Libération, « Sarkozy monte au Front », lauditeur pouvait méditer un vieux slogan de France-inter : écouter la différence, quil disait. Cette différence, la voici : les mêmes qui, naguère, se voulaient à la pointe du combat contre Le Pen et ses idées, ne trouvent rien à redire quand Sarkozy les leurs ressert dans un nouvel emballage. Absence desprit critique ou opportunisme ? Peu importe, lexplication quand seuls comptent les faits, accablants : le ministre de lIntérieur nest pas le seul à tomber le masque.