Après le 7 juin : droites souverainistes, populistes et extrêmes, premier bilan en Europe.
Les récentes élections européennes ont démontré que lextrême droite a le vent en poupe, dans toute une série de pays-membres de lUnion européenne, alors même quelle est plutôt en situation de recul (en tout cas, de recul momentané) en France. A côté de certains nouveaux venus – tel que le « British national party » (BNP) qui a obtenu deux sièges en Angleterre – plusieurs partis dextrême droite qui avaient pu sancrer depuis quelques années, renforcent leurs positions.
Généralement, ce sont plutôt des partis dextrême droite – aux profils différents – qui ont le vent en poupe, sur la scène à droite de la droite ; et nettement moins les partis souverainistes qui constituent (sous bien des égards) plutôt une composante ou une variante de la droite conservatrice.
Défaite pour la droite « souverainiste » proche des libéraux-conservateurs
Cette droite souverainiste, nationale et conservatrice, se concentre bien souvent, dans son programme et son discours, sur une critique (nationaliste) de lUnion européenne, accompagnée dune certaine nostalgie de la société davant « quand cétait mieux quaujourdhui ». Cest plutôt un programme à point unique, alors que sous bien dautres aspects – et notamment la politique économique et sociale, en dehors de la question de louverture des frontières à lintérieur de lUnion européenne – ces forces ne se distinguent guère de la droite libéralo-conservatrice. Ce profil sest, finalement, révélé plutôt peu porteur (en tout cas cette année), dès lors quil nest pas accompagné dun discours ou programme de droite populiste ou dextrême droite « plus large ». La grande exception sera, certes, la liste du UKIP (« Parti de lindépendance du Royaume-Uni ») britannique, qui a confirmé et renforcé son succès déjà connu en 2004, obtenant en 2009 plus de 17 % des voix. Mais cest lexception qui aura, en effet, confirmé la règle.
Surtout, la liste pro-souverainiste « Libertas », formation dirigée par lIrlandais Declan Ganley et qui était représentée en France par le national-catholique Philippe de Villiers (dont le Mouvement pour la France, MPF, avait pour loccasion fait lalliance avec les Chasseurs de Frédéric Nihous), aura fait long feu. En Irlande, pays où se présentait Declan Ganley lui-même, ses listes nont obtenu que 3,15 % des voix en moyenne et aucun siège. La candidature de Ganley, dans sa circonscription du Nord-Ouest, aura obtenu 14,3 % des voix, mais nest arrivé quen quatrième position. (LUKIP, au Royaume-Uni, nétait pas allié à la coalition « Libertas ».)
En France, la liste commune du MPF et des Chasseurs naura obtenu quun mandat, après trois sièges aux élections européennes précédentes (en 2004) ; ceci grâce à lancrage de Philippe de Villiers lui-même dans lOuest de la France où il aura obtenu 10,27 % (au niveau de la circonscription, et 32,96 % dans « son » département de la Vendée). En dehors de ce fief local et régional, le tandem de Villiers/Nihous naura pas réalisé un gros score, obtenant 4,9 % des voix. Pour mémoire, en 2004, Philippe de Villiers seul avait réalisé 6,7 % des voix auxquelles il fallait rajouter 1,5 % obtenues par lautre souverainiste, Charles Pasqua ; en juin 1999, la liste européenne commune de ces deux hommes avait encore obtenu 13,1 % des voix exprimées en France. Alors même que le Front national (FN) se trouve en crise et en net recul électoral – nous y reviendrons à la fin de cet article -, le score obtenu par les « souverainistes » non fascistes se révèle, cette année, encore plus décevant.
Globalement, les partis ayant un profil de droite « populiste » ou dextrême droite plus général sen tirent mieux que les souverainistes plus proche de la droite bourgeoise, même si ces derniers gardent dans leur giron quelques forces de poids (la droite polonaise notamment).
Venons-en à lextrême droite. Certes, les résultats de ceux parmi les partis « populistes de droite », racistes et/ou fascistes qui ont pu avoir des scores intéressants, ne sauraient être sur-interprétés. Puisque labstention est de presque 57 % en moyenne dans tous les pays de lUnion (et supérieure à cette moyenne surtout dans les Etats situés à lEst du continent), les résultats sont, la plupart du temps, déformés au profit de celles parmi les formations politiques qui ont réussi à mobiliser leurs électeurs. Cest surtout le cas, dans les pays centraux de lUnion, pour les électorats des partis du centre-droit (conservateurs ou chrétiens-démocrates) et les partis verts ; cela sexplique aisément par le fait que ces partis, surtout les chrétiens-démocrates et les écologistes, passent le plus fortement pour « pro-européens ». Dautres forces politiques avaient, souvent, plus de mal à mobiliser leurs partisans pour un scrutin de type « européen », ces derniers se sentant plus éloignés des institutions européennes.
Il nempêche que, pour plusieurs partis dextrême droite, leur succès est dautant plus important. Il doit être souligné, en effet, que sagissant la plupart du temps de forces politiques « eurosceptiques » voire « antieuropéens » (dans la mesure où ils rejettent toute délégation de pouvoir à une instance supranationale), lélectorat « naturel » de ces partis se sent dautant moins enthousiaste pour participer à la construction européenne. Labstention menace donc facilement ces partis ; le FN français en a dailleurs fait lexpérience cette année, puisque 65 % de ses sympathisants auraient choisi de sabstenir lors de ce scrutin européen, sur fond de crise interne au FN.
Partis dextrême droite « de gouvernement » renforcés
Dès lors que lon tourne le regard vers les partis « populistes de droite » et/ou racistes qui ont connu des expériences de soutien (ou participation) à des gouvernements, à des moments récents, force est de constater que la plupart de ces partis sortent renforcés du scrutin européen.
Cest le cas du Parti du peuple danois (DFP), parti qui fournit un soutien parlementaire aux gouvernements de centre-droite, au Danemark, depuis sa première entrée en force au Parlement qui a lieu en novembre 2001 (avec un peu de 12 % des voix). Aujourdhui, après presque huit années de « soutien sans participation », au cours desquels le DFP a surtout influé sur le durcissement radical des lois sur limmigration et sur lasile au Danemark, ce parti sort renforcé du scrutin européen avec 15,2 % des voix. Le fait que sa tête de liste, Morten Messerschmidt, soit connu pour être très proche des milieux néonazis ouverts ny aura rien changé.
En Italie, aussi, la Ligue du Nord (fédéraliste et raciste) aura tiré les bénéfices de sa participation au gouvernement. Obtenant 10,22 % des voix (plus quatre pour cent par rapport au dernier scrutin comparable) et huit sièges à Strasbourg au lieu de quatre auparavant, la Ligue du Nord étend son influence au-delà de sa traditionnelle zone de force en gagnant des nouveaux succès dans le centre de lItalie, dans des régions anciennement ancrées à gauche telles que la Toscane et lEmilie-Romagne. Son succès semble résider notamment dans un discours alliant préoccupations sécuritaires et agitation anti-immigrés, et sa capacité à attirer y compris un électorat ouvrier ayant anciennement voté à gauche. La dimension régionaliste, et anciennement séparatiste, de la Ligue du Nord passe ainsi nettement au second plan, en tout cas dans les nouvelles zones dinfluence de ce parti situées au-delà du nord industrialisé de lItalie. – Le parti de Silvio Berlusconi, le Peuple de la Liberté, obtenant 35,3 % des voix, fait un peu moins bien que les sondages ne lui avaient prédit (39 à 41 pour cent), mais reste le parti dominant largement la scène politique. Le scrutin intervenait deux mois après la fusion des postfascistes de lex-Alleanza Nazionale avec lancien parti du Président du Conseil, Forza Italia.
Aux Pays-Bas aussi, un parti dextrême droite, le « Parti pour la liberté » PVV du fanatique islamophobe Geert Wilders, réalise un score énorme de 17 % et devient ainsi la deuxième force politique du pays. Aux Pays-Bas, une formation de droite « populiste » avait participé au pouvoir en 2002/03, la « Liste Pim Fortuyn » aujourdhui quasiment disparue (puisquelle aura implosé quelques mois après lassassinat de son leader, Pim Fortuyn, intervenu le 15 mai 2002). Geert Wilders aura pris la succession de cette force politique ; sa tête de liste aux élections européennes, Barry Madlener, est dailleurs un ancien de la formation de feu Pim Fortuyn.
Aujourdhui, les sondages prédisent même à son parti quil deviendrait la première force politique si des élections au plan national (prévues en 2011) intervenaient aujourdhui, puisquune bonne partie des sympathisants de Geert Wilders ne souhaitaient pas voter au scrutin européen du 07 juin. Le PVV de Monsieur Wilders mêle, dans son discours et son idéologie, un ultralibéralisme – représentant une forme radicalisée de la droite bourgeoise radicalisée – avec un rejet radical de limmigration (surtout « musulmane ») représentée comme une menace à la « traditionnelle attitude libérale néerlandaise » au niveau des murs et des questions de société. Il sagit dun « modèle » dextrême droite de nouveau type, dans la mesure où ici, limmigration nest pas rejeté au nom dun « ordre moral » traditionnel, mais au contraire prétendument au nom de la modernité et des libertés individuelles. Ceci distingue le PVV aux Pays-Bas dune bonne partie de lextrême droite française.
Autriche et Belgique : deux situations spécifiques
Le cas de lAutriche est plus compliqué, dans la mesure où lextrême droite y a participé au gouvernement de 2000 à 2006, mais quelle na pas su gérer sa participation gouvernementale avec succès et quelle aura, en outre, connu une scission importante en 2005. De cette scission, sont nés le FPÖ-« Canal historique » (qui subsiste) et le BZÖ (Alliance Avenir Autriche), ancien parti personnel de feu Jörg Haider – décédé dans un accident en octobre 2008 – et à ancrage surtout régional, en Carinthie. Sur le plan fédéral (national), le FPÖ apparaît comme nettement plus extrémiste, alors que le BZÖ tente – tout en jouant aussi avec le racisme et en ayant un discours anti-immigration dur – de se présenter plutôt comme une force de droite bourgeoise.
Si lon compare les résultats de lextrême droite autrichienne (12,9 % pour le FPÖ, et 4,6 % pour le BZÖ) aux élections européennes avec ceux obtenus au dernier scrutin européen du même type, il faudra forcément parler dun succès. Ceci dans la mesure où, lors des élections européennes de juin 2004, le FPÖ – alors non encore scindé en deux – sétait trouvé au creux de la vague et en très petite forme. Il navait alors réalisé que 6,3 % des voix, qui lui donnaient droit, à lépoque, à un seul siège. Les deux partis ensemble font nettement mieux, aujourdhui. Or, aux dernières élections générales nationales qui ont lieu en Autriche, fin septembre 2008, le score cumulé des deux partis dextrême droite ou de droite « populiste » était encore nettement supérieur, dépassant (ensemble) même les 28 %. Si les deux partis ont plus ou moins reculé aujourdhui par rapport à lautomne de lannée dernière, ceci est dû, dun côté, au fait quil sagit de deux scrutins de type différent : le public de la droite « populiste » ou extrême se déplace moins pour un scrutin à léchelle européenne, se sentant plutôt distant vis-à-vis des institutions européennes. Mais il y aussi un autre facteur : le FPÖ (17 % en 2008) aura reculé un peu parce que, pour la première fois depuis longtemps, il a été exposé à une contre-campagne antifasciste assez massive, à laquelle participèrent aussi des forces politiques établies et le clergé des Eglises chrétiennes. Auparavant, le FPÖ avait entamé une campagne très agressive, faisant de lagitation (à travers des annonces payées dans la presse) contre « une adhésion de la Turquie et dIsraël à lUnion européenne ». Tout le monde ayant remarqué quil navait jamais été question, sérieusement, dune adhésion dIsraël à lUE, ses détracteurs faisaient remarquer que le parti dextrême droite ne cherchait quà attiser des ressentiments contre les juifs. Le slogan de la campagne du FPÖ « LOccident entre des mains de chrétiens », autant dirigé contre juifs et athées que contre les immigrés musulmans, suscita des critiques de la part même de lEglise catholique. Pour la première fois, un chef de gouvernement autrichien en exercice, en la personne de Werner Faymann, utilisait le mot de fascisme, en évoquant publiquement la nécessité dune éducation « antifasciste ». Les critiques ardentes quaura réveillées sa campagne, ont légèrement fait reculer le FPÖ. Le BZÖ (peut-être parce que son public est en partie plus proche de la droite conservatrice, peut-être aussi parce que le lien émotionnel avec lex-« homme providentiel » Jörg Haider saffaiblit avec le temps découlé depuis son décès), qui avait encore obtenu 11 % lannée dernière, recule davantage.
En Belgique, nous observons une situation là encore assez spécifique. Dans le nord du royaume, en Flandre, le parti Vlaams Belang (VB, « Intérêt flamand ») avait jusquici campé en position de première force politique, tout en étant isolé de toutes les autres formations politiques par une mesure disolement volontaire appelée « le Cordon sanitaire ». La situation en Belgique, surtout dans sa partie septentrionale et néerlandophone, a évolué depuis peu. Dun côté, lapparition (en 2007) dune nouvelle force politique populiste et droitière, mais pas dessence fasciste, sous forme de la « Liste Dedecker » (LDD), a endigué le « Vlaams Belang ». Ce dernier chute de 24,5 % des voix, obtenus au scrutin régional flamand en juin 2007, à 15,3 % au récent scrutin européen et régional, les deux élections ayant eu lieu le même jour. La LDD, elle – liste populiste fortement marquée par la personnalité de son leader, Jean-Marie Dedecker, dont elle porte le nom -, aura obtenu 7,7 % des voix.
Une troisième force politique partage également certaines caractéristiques avec le VB, tout en sen distinguant sur dautres points. Alors que la « Liste Dedecker » partage son populisme (et en partie son attitude anti-immigrés, mais en plus faible) avec le VB, la « Nouvelle Alliance flamande » (NVA), elle, en rejette le populisme « anti-establishment » tout en partageant le nationalisme anti-belge de lextrême droite flamande. La NVA est un parti national-conservateur, né en 2001 et qui sétait allié dans beaucoup délections avec leschrétiens-démocrates flamands. Tout en étant flamande-nationaliste, elle se distingue du VB par son côté plutôt conservateur ou réactionnaire et élitiste ; alors même que le côté « populiste » du VB repose en bonne partie sur une fausse impression : lactuel chef du parti dextrême droite depuis mars 2008, Bruno Valkeniers, est lun des plus grands patrons de la ville portuaire dAnvers, et il rêve ouvertement dune alliance de toutes les droites sur le modèle italien, quil appelle de ses vux en la baptisant « Forza Flandria ». Ensemble avec la NVA, le Vlaams Belang était aussi le seul parti au parlement belge en défendant ouvertement le pape Benoît XVI, en avril 2009, quand celui-ci fut critiqué pour ses propos réactionnaires et obscurantistes par un vote du parlement fédéral belge.
A cette élection du 07 juin 2009, la NVA sest présentée seule, et elle aura obtenu 13,1 %. Ainsi, si on fait laddition entre les voix obtenus par les différentes forces de droite dure, populiste et/ou extrême en Flandre, on arrivera à un résultat cumulé de 36 %, qui inquiète dans les milieux antifascistes (et pas uniquement) en Belgique. Paradoxalement, alors que la nouvelle concurrence aura fait baisser le score du « Vlaams Belang », elle laura peut-être renforcé à moyen et long terme. Ayant désormais des « voisins », le parti dextrême droite flamand a pu se « normaliser » quelque peu. Surtout, la « Liste Dedecker », si elle est nettement moins marquée à lextrême droite que le VB (son fondateur Jean-Marie Dedecker sest dailleurs parfois réclamé de Nicolas Sarkozy), elle rejette le « Cordon sanitaire » et nexclut pas des coopérations futures avec le « Vlaams Belang » dont elle aura tenté dattirer des déçus et des « dissidents ». Ainsi il y aura lieu dobserver de façon bien précise, lévolution politique à venir en Belgique. Surtout en cas de crise renforcée de lEtat central (monarchique) belge, lextrême droite flamande pourra tenter de pousser les feux sur fond de nationalisme régional.
Europe de lEst : La catastrophe hongroise
En Europe du Centre et de lEst, nous observons également plusieurs partis dextrême droite assez forts.
Le cas de figure le plus catastrophique, et de loin, est celui de la Hongrie : ici, le parti néofasciste, antisémite et assez ouvertement violent « Jobbik » (littéralement « Le meilleur ») a pu réaliser 14,77 % des voix presque le double de ce que lui avaient prédit les sondages, autour de 8 %. Ce parti entretient une milice en uniformes, la « Garde hongroise », qui nhésite pas à utiliser la violence contre des membres de la population Rrom du pays, des (plutôt rares) immigrés ou contre les homosexuels. Le discours antisémite de ce mouvement nest guère dissimulé. « Jobbik » aura pris la place anciennement dévolu au « Parti de la vérité et de la vie » (MIEP) de lantisémite Istvan Csurka, anciennement allié – dans les années 1990 – à Jean-Marie Le Pen (qui a participé à un rassemblement de ce parti en octobre 1996) et au FN français. Or, les résultats du MIEP- qui a peut-être vu sa base sociale absorbée par la droite conservatrice quisétait alliée assez ouvertement à lui aux débuts de la décennie – nétaient pas montés jusquau niveau actuellement atteints par « Jobbik ».
A côté de lui, la droite conservatrice sous forme du FIDESZ a obtenu plus de 56 %, emportant à elle seule 15 des 22 mandats hongrois au Parlement européen. Visiblement, à la fois la droite et lextrême droite ont su exprimer aux yeux de nombreux Hongrois, et particulièrement en période de crise économique et sociale, le mécontentement social avec les gouvernants libéraux et sociaux-libéraux. A de nombreuses reprises, des manifestations de protestation à caractère social ces dernières années ont pu être récupérés politiquement par des forces de droite et/ou dextrême droite. La menace de cette dernière prend en outre, dans ce pays, potentiellement le visage de la violence.
En Roumanie, lextrême droite réussit à remonter, même si elle est loin des presque 30 % des voix auxquelles elle était promise par les sondages il y a à peine dix ans. Le « Parti de la Grande Roumanie » (PRM) de Corneliu Vadem Tudor, ancien poète officiel du dictateur Nicolae Ceauscescu reconverti dans le nationalisme intégral, avait connu un fort déclin ces dernières années. Aux premières élections de députés européens en Roumanie, en novembre 2007 (auparavant ses députés au Parlement européen avait été désignés par le Parlement national), ce parti – lui aussi ancien allié affiché du FN français – était tombé à 3,5 % des voix. En décembre 2008, lors des législatives roumaines, il sétait de nouveau retrouvé à 4 % et exclu du Parlement. Mais ces derniers mois, une autre force – populiste de droite, nationaliste et autoritaire – montait avec le « Parti de la nouvelle génération » (PNG) de lhomme daffaires Georges « Gigi » Becali. Ce dernier, propriétaire dun club de football, est devenu très populaire au début de lannée 2009 quand il a été emprisonné quelque temps pour un délit de séquestration : il avait retenu, en toute illégalité, des personnes suspectées de lui avoir volé sa voiture (de luxe). De nombreux Roumains semblaient sidentifier avec sa façon de se rendre « justice » lui-même, et critiquaient son emprisonnement qui semble avoir fait de lui un « martyr ». Il y a quelques semaines, Vadim Tudor et Becali, anciennement grands rivaux, réussirent à se mettre daccord sur une liste commune dont « Gigi » Becali prit la tête. Celle-ci aura obtenu 8,7 % des voix.
Dans le pays voisin, la Bulgarie, le parti nationaliste, raciste (surtout anti-Rroms) et antisémite « Ataka » reste fortement installé dans le paysage politique. Obtenant 11,96 % des voix exprimées, il se maintient globalement à son niveau électoral de ces dernières années. Ataka a été allié au FN français au moment où il existait – pendant quelques mois en 2007 – un groupe parlementaire commun de lextrême droite, à Strasbourg. Ce groupe, baptisé « Identité, tradition, souveraineté » (ITS) et présidé par le Français Bruno Gollnisch, avait explosé au bout de quelques mois, surtout en raison danimosité entre députés italiens et roumains sous forme dagitation raciste en Italie contre la présence dimmigrés roumains. Ces derniers temps, « Ataka » aura surtout coopéré avec le FPÖ autrichien.
Si, en Europe de lEst, lextrême droite maintient globalement ses positions, il y a aussi quelques « nouveaux venus » sur la scène (européenne) dans dautres partis du continent. Ainsi le parti dextrême droite grec LAOS, formé par danciens supporteurs de la dictature militaire des Colonels (de 1967 à 1973), fait une percée aux élections européennes plus forte que ses résultats connus auparavant, avec 7,2 % des suffrages.
Les nouveaux venus : Britanniques et Finlandais
Dans une autre région du continent, et sur fond de traditions politiques somme tout assez différentes, un nouveau parti « populiste » de droite réalise une nouvelle percée. Le parti des « Vrais Finlandais » (Perussuomalaiset, PS), jusque-là inconnu sur la scène internationale, allié pour loccasion à des chrétiens-démocrates plutôt proches des intégristes chrétiens, aura obtenu 9,8 % des voix en Finlande. Ensemble avec la liste chrétienne KD, ce parti « populiste de droite », fondé en 1995 à partir de lancien Parti paysan, aura rassemblé 14 % des suffrages.
Au Royaume-Uni, le « British National Party » (BNP) présidé par Nick Griffin, dont le fonctionnement est relativement proche de celui du FN français , nest certes pas un nouveau parti. Ce parti, fondé en 1982, connaît en revanche ses premiers vrais succès électoraux à une échelle nationale après une petite série de succès locaux. Avec 6,5 % des voix exprimé sur lîle, le BNP (qui na pas présenté de candidats en Irlande du Nord) a remporté, pour la première fois, deux sièges au Parlement européen. En juin 2004, avec 4,9 % des voix britanniques, il avait raté son entrée de peu.
Le BNP, qui a mené une campagne anti-classe politique extrêmement agressive sous le slogan « Punish the pigs » (Punissez les cochons !..), aura sans aucun doute profité du scandale de corruption qui secoue actuellement lestablishment politique en général, le Labour/parti travailliste en particulier. Le parti dextrême droite na pas hésité, non plus, à utiliser aussi la démagogie sociale – dans un meeting de campagne, son slogan « Punish the pigs » fut illustré, dans une scène de théâtre, par des ouvriers en habit de travail (en réalité des comédiens) attaquant et frappant des politiciens qui se vautraient dans des billets de banque Sur fond de ce mélange entre « Tous pourris » et démagogie sociale, le BNP, nationaliste et raciste, aura certainement aussi profité du vent mauvais de la campagne « British jobs for british workers » (Des emplois britanniques pour des travailleurs britanniques), présente dans certains mouvements de grève des derniers mois.
Extrême droite faible en France, et en Allemagne
Cest dans deux pays centraux de lUnion européenne, la France et lAllemagne, que lextrême droite sera restée en dessous du niveau de résultats électoraux quelle a connu voici quelques années.
En Allemagne, lextrême droite organisée en partis aura été laminée lors de ces élections européennes, alors quelle avait été présente pendant une seule législature au Parlement européen : de 1989 à 1994, quand les « Republikaner » (REPs), alliés alors à Jean-Marie Le Pen, avaient obtenu 7,1 % des voix.
Cette année, présente avec deux listes concurrentes – celle du parti des « Républicains » ou REPs (qui a réalisé 1,3 %) et celle de l« Union du peuple allemand » DVU (0,4 %) – elle est restée très loin en dessous de la barre des 5 % requis, dans ce pays, pour entrer au parlement européen. Ce résultat a différentes raisons, dues notamment à lémiettement de lextrême droite en plusieurs partis rivalisant entre eux (REPs, DVU, NPD) et sa faible structuration. Elle paye aussi leffroi que crée, aux yeux dune partie du public, le très fort taux de violence raciste, xénophobe et antisémite présent en Allemagne, avec plus de 19.000 délits liés au racisme, antisémitisme ou à lextrême droite (dont 1.000 atteintes aux personnes) pour lannée 2008. Ajoutons quen période de crise économique, lélectorat allemand semble plutôt réagir par un réflexe légitimiste, qui profite surtout au centre-droite formé par les chrétiens-démocrates, chrétiens-sociaux et les libéraux (ces derniers ayant, assez paradoxalement dans ce contexte de crise, le vent fortement en poupe).
En France, nous observons un certain effritement du vote FN, avec un score en moyenne nationale de 6,34 % (à comparer aux 9,81 % obtenus en juin 2004, alors que le parti était déjà entré dans la crise liée à la succession de Jean-Marie Le Pen). Ce tassement, relatif mais réel, nest pas tellement – voire pas du tout – lié à une défaite visible des idées du FN, mais surtout à labsence de toute dynamique militante autour du parti. Les divisions, multiples depuis un an (« Nouvelle Droite Populaire », « Nouvelle Droite Républicaine », puis les dissidences conduites par Carl Lang et Jean-Claude Martinez depuis novembre 2008, enfin celle dAlain Soral en février 2009), ont considérablement affaibli la structure militante du FN. Lappareil devrait tourner avec au maximum 5.000 membres réels (plus ou moins actifs), contre un peu de 10.000 au moment du dernier congrès du parti en novembre 2007. A rapprocher des 42.000 militants à jour de cotisation que le parti dextrême droite comptait lors de la scission Le Pen/Mégret fin 1998.
Quelle sera la sortie de crise pour le FN, et y en aura-t-il une ? Aujourdhui, il est nettement trop tôt pour tenter de donner une réponse à cette question. En revanche, il est sûr que la question des personnes, en vue de la future succession de Jean-Marie Le Pen, sest encore clarifiée avec ce scrutin européen. En effet, avec 10,18 % obtenus dans la circonscription Nord-Ouest (qui englobe la région du Nord-Pas de Calais, particulièrement frappée par la crise économique), la « fille du chef » Marine Le Pen réalise de loin le meilleur score des candidats FN. Elle se place ainsi, de nouveau, clairement en tête face à un Bruno Gollnisch qui fait un score plutôt faible dans la circonscription Est, avec 7,57 % des voix (alors que les sondages semblaient prédire jusquà 15 % au FN dans cette seule circonscription, fortement touchée elle aussi par la crise tout comme le Nord-Pas de Calais). Et, maintenant, même face à son propre père, puisque Jean-Marie Le Pen, qui finit la course à 8,49 % dans le Sud-Est, doit shabituer lui-aussi aux scores à un seul chiffre, désormais.
Très prochainement, Marine Le Pen devra et on verra si elle pourra confirmer son résultat obtenu aux européennes dans le Nord, sur le plan local. Le 28 ,juin prochain, en effet, la population dHénin-Beaumont sera rappelée aux urnes pour élire une nouvelle équipe à la mairie, lancien maire Gérard Dalongeville (socialiste/divers gauche) étant mis en examen pour le soupçon davoir détourné jusquà quatre millions deuros. Cette situation a créé une situation favorable à la démagogie – sur lair du « Tous pourris » – du FN, qui avait commencé, aussitôt la nouvelle de larrestation du maire connue, à réclamer haut et fort (sur les marchés publics) des nouvelles élections municipales. Le proche avenir nous dira si Marine Le Pen, cherchant à sériger en « première opposante » à lancien maire dont le mandat a été invalidé et son équipe, arrivera à transformer lessai. Voire, si on risque de voir une nouvelle « mairie-modèle » dextrême droite se créer dans le Pas-de Calais, dix ans après les anciennes gestions municipales FN à Toulon ou à Vitrolles. Pour linstant, force est de constater que Marine Le Pen a su réaliser un score important, sur place, lors des élections européennes : 12,88 % au niveau du département du Pas-de-Calais (contre 9,66 % dans celui du Nord, et 10,9 % dans la région Nord-Pas de Calais). Mais pas moins de 27,92 % des voix au niveau de la municipalité dHénin-Beaumont. Si elle réussit à réitérer ce même score ou à le dépasser au premier tour de lélection municipale à venir, le risque qu'elle l'emporte au second tour est réel.
Pas de succès pour les courants minoritaires de lextrême droite
Les « dissidences » et scissions, elles, napportent pas grand-chose aux anciens cadres du FN, au plan électoral. Cela devrait sexpliquer par le fait que ces « dissidences » sont portées par une dynamique militante (voire concernant surtout les cadres), en interne, mais ne concernent pas la « grande masse » des (anciens) sympathisants et (ex-)électeurs.
Dans la circonscription du Nord-Ouest, Carl Lang – dont « Le Parti de la France » (LPDF), malgré son nom grandiloquant, finit la course à 1,52 % des voix – aura plutôt raté son pari. Ceci même si les sondages, à quelques mois du scrutin, étaient encore nettement plus mauvais et le plaçaient à lavance « scotchés » à 0,5 % ; or, il faudra aussi tenir compte de la forte abstention, qui « gonfle » le score de petites listes (alors même quelles sont, elles aussi, frappées par labstention). De toute façon, Carl Lang et ses partisans nauront ainsi pas accès au remboursement de leurs frais électoraux, puisquils natteignent pas la barre des 3 % exigés pour y avoir droit. Dans la circonscription Massif Central-Centre, la situation ne se présente que très légèrement mieux pour les amis de Carl Lang (rassemblée derrière la tête de liste Jean Verdon) qui y obtiennent 1,88 %.
Dans le Sud-Ouest, Jean-Claude Martinez, autre tête dune « dissidence » militante du FN (initialement « la Maison de la vie », rebaptisée en cours de route « lEurope de la vie »), naura obtenu que 0,92 %. Ainsi placé en-dessous de la barre symbolique de un pour cent des voix, il ne devrait ainsi guère avoir davenir politique.
Enfin, la liste antisémite conduite par Dieudonné Mbala Mbala et lex-FN Alain Soral, rassemblant un ensemble hétéroclite de nationalistes-révolutionnaires, de « Rouges-Bruns » (à linstar de Soral), dintégristes musulmans (Yahia Gouasmi) et autres négationnistes historiques (Ginette Skandrani), naura pas « décollé » non plus. Nayant été présente que dans la circonscription Ile-de-France, elle y aura réalisé 1,3 % des voix. Il y a, certes, des disparités locales relativement fortes, avec des pics locaux dans la Seine-Saint-Denis (2,83 % à léchelle du département) et plus particulièrement dans des villes comme Garges-lès-Gonesse dans le Val-dOise (6,03 %, son meilleur score à léchelle dune commune). Cependant, ces résultats – probablement un mélange entre un vote « qui veut taper dans le système » sans conscience politique, et un vote communautariste de quelques électeurs voulant se définir comme musulmans – ne sont « faramineux » nulle part.
Là où ils se situent localement nettement au-dessus de la moyenne de 1,3 %, il faudra en outre mesurer ces résultats à laune de ceux obtenus par la liste « EuroPalestine » en juin 2004. Cette dernière nétait pas une liste quon puisse généralement qualifier dantisémite, et certains de ces candidats/candidates ne létaient assurément pas (mais souhaitaient simplement exprimer une solidarité avec les Palestiniens, quel que soit le jugement politique quon puisse avoir sur leur démarche et de leur vision peut-être parfois simpliste). Cependant, à la fois Dieudonné et Alain Soral, et certains de leurs acolytes daujourdhui, étaient alors déjà partie prenante de cette liste-là. La thématique officiellement annoncée étant proche dans lun et lautre des cas – même si lantisémitisme, qui structurait « inofficiellement » la liste de Dieudonné, nétait pas aussi présent ni partagé par lensemble de la liste « EuroPalestine » de 2004 -, une certaine comparaison électorale devrait être possible. Or, même là où les résultats de la liste de Dieudonné en 2009 sont relativement forts en comparaison à sa moyenne, ils restent en règle générale nettement inférieurs à ceux obtenus par « EuroPalestine » cinq ans auparavant. (Ainsi à Garges-lès-Gonesse, on mesure 6 % des voix pour la « Liste Antisioniste » de Dieudonné et ses partenaires antisémites en 2009 ; mais en 2004, la liste pro-palestinienne y avait dépassé les 10 %.)
Il y a donc lieu despérer que, dans le cas de la liste de Dieudonné – qui risquait dannoncer des regroupements politico-idéologiques dun type nouveau, englobant des forces dextrême droite – comme dans celui des listes « dissidentes » du FN, les résultats nencourageront guère leurs animateurs de continuer leur activité commune. En tout cas, à court terme, le FN « Canal historique et (en ce moment) Ventre mou » ne devrait pas voir de concurrent sérieux lui disputer le terrain électoral. Ce qui nempêchera pas, loin sen faut, des groupes (plus ou moins) petits dactivistes de se former.
Résistance sociale et vigilance anti-fasciste
La crise du capitalisme n'a pas encore produit tous ses effets…mais déjà l'on voit quelques plantes vénéneuses proliférer… sur fond d'abstention massive des couches populaires qui n'attendent rien de bon de l'Europe de Monsieur Barroso.
Dans " Le Monde" du 12 Juin , la rubrique " Breakingviews.com" présentée comme " le point de vue de l'agence économique et financière" titrait , à propos de la grève prévue des agents du métro londonien : " Licenciez les employés du métro ! " . Ce point de vue n'est pas (encore) partagé par l'ensemble de la classe capitaliste ni par la majorité des partis qui la soutiennent , mais gageons que les partis fascistes qui se requinquent un peu partout en Europe applaudiront et , après s'être faits la main sur les immigrés , seront partant pour accomplir le sale travail , pour peu que la situation économique et sociale se tende .
Le devoir de résistance sociale est donc intimement lié à la lutte contre la résurgence néo fasciste , populiste et nationaliste .