(Analyse de VISA Vigilance Initiatives Syndicales Antifascistes)
Les islamistes
sont devenus, dans la perception des événements en Afrique du Nord, une
véritable obsession pour lextrême droite. Au fil des mois, elle ne
parlait que deux, faisant comme si la seule force politique existant
dans les pays du Maghreb, en Libye ou en Egypte étaient les islamistes.
Or, il est bien évident que cest
archi-faux : sil ne sagit pas de nier que des forces se réclamant de
lislam politique ont une influence réelle dans la région (les résultats
des élections tunisiennes le démontrent), le paysage politique ne se
résume pas du tout à eux. Sils forment une force politique influente,
ils ne sont pas majoritaires à eux seuls, en Tunisie par exemple. Il
faut par ailleurs reconnaître que lislam politique est fortement
divers, et que ses forces sont portées par des dynamiques différentes.
Si certaines de ces variantes, tel que le khoménisme en Iran,
sapparentent par certains traits au fascisme européen (tout en sen
distinguant sur dautres points), tel nest pas du tout le cas de la
principale force islamiste tunisienne : En-Nahdha (« Renaissance »).
Celle-ci se réclame plutôt du modèle de lAKP turc parti au
gouvernement depuis 2002 et réélu en juin 2011 avec 50 % des voix -, une
force soluble dans la démocratie libérale.
Certaines des forces qui se
réclament de lislam politique sapparentent en réalité plutôt à une
forme de conservatisme « social », critiquant par ailleurs la domination
occidentale. Ces forces sont plus proches, par certains traits, de la
démocratie chrétienne droitère en Europe, que des talibans afghans.
Elles sont néanmoins des forces réactionnaires, et bien sûr il faudra
être très vigilant par rapport aux mesures, par exemple sur la question
des droits des femmes, quelles pourraient être amenées à prendre au
gouvernement.
Le FN et l islamisme : variantes et constantes
Mais,
vu de lextrême droite, toutes ces forces se ressemblent. Aucune
distinction nest nécessaire. Ensemble, sans aucune nuance entre elles,
elles semblent former une « menace » uniforme pour lEurope, qui devrait
se « défendre », notamment en fermant ses frontières.
Sur le site « Nations Presse Info »,
proche de Marine Le Pen, on peut ainsi lire le 09 septembre 2011 : « La
victoire du Printemps Arabe est celle des islamistes. » Dans larticle,
il est question de la réapparition de foulards en Tunisie. Aucune force
politique, ni même lislamisme en tant que force politique, nest
mentionnée : le phénomène culturel est directement essentialisé, aucun
débat politique ne semble exister, une seule tendance semble prévaloir.
Laction de plusieurs centaines de
manifestants salafistes une variante particulièrement extrême de
lislam politique, très activiste mais très minoritaire contre le
siège dune télévision tunisienne, le 09 octobre 2011 attire aussi
lattention du site. Cette fois-ci, il se contente cependant de mettre
en ligne un article de « Marianne » sous le titre rédactionnel « Un vent
islamiste sur le printemps arabe ». Un leitmotiv « climatique » qui
plaît bien au FN, puisquil revient souvent au fil des articles : «
Après le Printemps arabe, lhiver démocratique ? » sinterroge le site,
le 10 octobre dernier.
Sous ce titre, il met en ligne un communiqué de
Marine Le Pen, évoquant les actions des salafistes à Tunis de la veille
ainsi que des incendies déglises coptes en Egypte. Toute lattention du
site dextrême droite est focalisée uniquement sur ces phénomènes.
Précisons, dailleurs, quils sont le fait de quelques centaines
dindividus au maximum, que les courants extrêmes auxquels ils
appartiennent sont relativement isolés (les grands partis islamistes,
En-Nahdha en Tunisie et les Frères musulmans, ont condamné leurs
exactions), et que leurs actions violentes ont donné lieu à chaque fois à
des contremanifestations nettement plus importantes.
Par rapport à lislamisme en tant que
phénomène politique, le FN a dailleurs changé de position, mais sans
pour autant changer de logique profonde. Dans les années 1990, en effet,
le FN saluait lémergence des forces islamistes (et souvent des plus
rétrogrades parmi elles), en les définissant comme autant de
manifestations dune « recherche universelle didentité culturelle ».
Sur fond dune « culture » présentée comme foncièrement et
irréductiblement différente, soi-disant « inassimilable » en France et
devant être séparée de la culture européenne, lextrême droite
présentait certaines forces islamistes comme positives : parce quelles
souhaitaient cette séparation. Au nom dune prétendue quête commune de «
pureté » culturelle (ou ethnique dans le cas du FN), les islamistes
étaient vus comme une sorte de miroir.
Jean-Marie Le Pen rencontra ainsi le
leader islamiste turc Necmettin Erbakan (premier ministre pendant
quelques mois en 1996/97, renversé par larmée qui le jugeait trop
extrême) au bord de la mer Egée, fin août 1997. Le Pen fut accueilli à
lambassade de la « République islamique » iranienne à Paris, en janvier
1998. On le retrouva aussi à la « tribune dhonneur » de lIran lors du
match de football USA/Iran qui se déroulait à Lyon, en juin 1998, dans
le cadre de la Coupe du monde de football. Il était alors accompagné de
Bruno Gollnisch.
Cette période de lorientation
internationale du FN se plaçait largement sous linfluence de la «
Nouvelle Droite » du GRECE, ayant créé dans les années 1970 et 1980 le
concept de l« ethno-pluralisme ». Celui-ci prévoit que « toutes les
identités culturelles doivent être respectées », donc y compris celles
des musulmans ou des Africains, en tant que valeurs positives mais que
leur « épanouissement » exige un « développement séparé » des
populations. Donc, le renvoi des immigrés hors de France.
Aujourdhui, cette phase de sa politique
semble dépassée, et le FN repasse à des conceptions basées sur la
simple hostilité à lislam et aux cultures musulmanes. Celles-ci,
présentées comme le terreau naturel de lislamisme, sont présentées
comme un danger potentiel pour lEurope. Sur fond de théorie du « Choc
des cultures », avec Marine Le Pen, lheure est plutôt à un alignement
sur la droite américaine (états-unienne) et israélienne, tentant ainsi
de créer de nouvelles alliances. Des alliances qui, auparavant, été
fermées à Jean-Marie Le Pen depuis son propos sur Auschwitz, « un détail
de lHistoire » à la télévision française du 13 septembre 1987. Ce
propos avait valu au FN, à lépoque, la rupture avec les droites
britanniques (une invitation au congrès du parti de Margaret Thatcher à
lautomne 1987 fut ainsi annulée), américaines, et israéliennes. Sa
fille tente de renouer des fils rompus, en se rendant fin octobre 2011
aux Etats-Unis où elle veut rencontrer parmi dautres Ron Paul,
candidat à linvestiture du Parti Républicaine pour lélection
présidentielle de novembre 2012.
Afin de justifier la demande de
renfermement de lEurope vis-à-vis de tout ou presque ce qui vient du
côté Sud de la Méditerranée, la diabolisation de « lislam » et des
musulmans fait partie de ce même jeu politique.
La Libye et la Syrie : exceptions pour lextrême droite
Afin
que notre tableau soit complet, il nous faut encore mentionner des
régimes arabes ayant joué un rôle spécifique dans le jeu régional. Ceci
parce que, à la différence des dictatures tunisienne ou égyptienne,
elles apparaissaient de prime abord comme moins fortement liés aux
grandes puissances occidentales. Ces régimes sanguinaires, notamment le
régime syrien, ainsi que feu le régime libyen de Kadhafi se
revendiquant du nationalisme arabe -, utilisaient parfois une rhétorique
et un mode de légitimation « révolutionnaires ». Ces régimes ont tout
pour plaire à une partie de lextrême droite, notamment cette partie
activiste et pseudo-rebelle qui se définit comme le courant «
nationaliste-révolutionnaire ». Précisons, dailleurs, que des
passerelles existent ici parfois dans des milieux (anciennement) de
gauche ou dultragauche, au nom dun « anti-impérialisme » très
largement perverti. A titre dexemple, prenons linterview donnée,
mercredi 19 octobre 2011, par lex-terroriste international « Carlos » -
actuellement emprisonné à la centrale de Poissy à « Libération »
depuis sa cellule de prison. « Carlos », qui se rêvait en desperado «
révolutionnaire » et « anti-impérialiste » dans les années 1970 mais qui
na jamais été rien dautre quun mercenaire au service de dictatures
atroces, y est interrogé sur
ce quil voterait en France, en 2012, si
jamais il avait le droit de vote. Il répond à cette question, « parce
que Jean-Marie Le Pen ne se présentera pas », il voterait
pour la
gauche. Ce nest pas que de la provocation, ni une simple blague.
Rappelons lors que de son premier procès à Paris en décembre 1997, «
Carlos » sétait lancé dabord dans une longue diatribe contre le procès
fait alors à Maurice Papon. Le procès Papon, à Bordeaux, nétant à ses
yeux rien dautre quune machination « des sionistes ». Ensuite, le
terroriste saluait, toujours dans sa déclaration de procès, le « courage
politique » de ce quil appelait alors « la droite nationale ».
« Carlos » a été et reste lié à la
mouvance qui se regroupe autour de Dieudonné et dAlain Soral. La
mouvance Dieudonné à laquelle appartient aussi le célèbre amateur de
théories du complot, Thierry Meyssan, tente depuis plusieurs mois de se
rapprocher des régimes à ses yeux « résistants » dans la région arabe.
Ainsi, plusieurs de ses activistes ont séjourné en Libye quand Kadhafi
était encore au pouvoir : Dieudonné et Ginette Skandrani en avril 2011,
puis Thierry Meyssan en août 2011 jusquà la chute de Kadhafi. Ce
dernier a raconté dans des vidéos accessibles sur Youtube comment il
avait étroitement travaillé avec les services de la dictature pour
démasquer des journalistes occidentaux, quil traita publiquement d«
espions ».
Dans ses relations avec la dictature
syrienne, cette mouvance passe en revanche par un individu très bien
introduit dans
lentourage de Marine Le Pen, où il soccupe
actuellement de la communication : Il sagit de Frédéric Chatillon, un
ancien dirigeant du GUD (groupe violent de nervis dextrême droite en
milieu étudiant, qui était surtout implanté à Paris 2-Assas). Ce même
Frédéric Chatillon avait organisé un voyage commun à Beyrouth, du 27 au
31 août 2006 et quelques jours après la fin de la campagne militaire
israélienne au Liban de lété 2006, pour une illustre société de
voyageurs. On y trouvait notamment Dieudonné, Alain Soral, Thierry
Meyssan, Marc Georges (un ancien du FN devenu son conseiller, qui sera
plus tard un soutien à la candidature de Bruno Gollnisch pour la
présidence du FN, en 2010), et un journaliste de lhebdomadaire « Minute
» : Lionel Humbert. Ce journal dextrême droite fut dailleurs le seul à
rendre compte du voyage de ce groupe bizarrement composé, dans son
numéro du 13 septembre 2006.
Chatillon, organisateur du voyage, avait
mis à contribution ses contacts dans lappareil militaire syrien ; ce
pays ayant longtemps exercé une tutelle encombrante sur le Liban.
Actuellement, Chatillon soccupe dun site Internet intitulé « Info
Syrie », qui diffuse la « vérité » officielle du régime syrien sur les
révoltes en cours dans le pays. La propagande pour ce site est faite
dans les milieux entourant Dieudonné / Alain Soral, mais malheureusement
parfois aussi (au nom dun « anti-impérialisme » dévoyé qui passerait
par un soutien implicite ou explicite au régime) jusque dans les rangs
des militants de gauche.Ce même Frédéric Chatillon reste très présent
autour de Marine Le Pen. A la mi- octobre 2011, il accompagna la
présidente du FN lors de son récent voyage politique en Italie.
Safficher publiquement en faveur de
dictatures arabes est, cependant, peu populaire dans la masse des
électeurs et sympathisants du FN. Cela peut passer dans des milieux
idéologiquement durci dactivistes « nationalistes-révolutionnaires »,
mais pas dans lélectorat plus large. Ainsi Jean-Marie Le Pen avait dû
faire cette expérience quand il avait ouvertement pris fait et cause,
lors de la « crise du Golfe » entre août 1990 et le printemps 1991, pour
la dictature irakienne de Saddam Hussein. (Le leader du FN ne sétait
alors point contenté de sopposer à la guerre des USA « à laquelle les
intérêts de la France étaient étrangers » selon lui, mais il sétait
rendu à Bagdad chez Saddam Hussein, fin octobre 1990. Il refit
dailleurs le voyage en juin 1996.) Au nom dune « rupture » avec
lancienne politique pro-américaine et pro-libérale du FN à lépoque de
Ronald Reagan, Jean-Marie Le Pen avait alors tenté dentraîner le parti
dans son nouveau positionnement. Mais la mayonnaise ne prit pas
vraiment. Lorsque le « Figaro Magazine » effectua un sondage détaillé,
au moment du congrès FN de Strasbourg en 1997, parmi les électeurs du
FN, ces derniers étaient aussi interrogés sur leurs préférences parmi
une trentaine de pays du monde. Ils placèrent lIrak à la dernière
place. Ceci alors que Jany Le Pen, lépouse du chef, mouillait alors sa
chemise dans le cadre de lassociation pseudo-humanitaire « SOS enfants
dIrak ».
Dans la presse et la blogosphère
dextrême droite, en 2011, Mouammar al-Kadhafi était aussi extrêmement
mal vu. Probablement, le fait quun conflit militaire (qui se déroulait
au Tchad) avait opposé la France à la Libye de Kadhafi dans les années
1980, y était pour quelque chose. Ainsi, sur le site Web raciste « La
Valise ou le cercueil » (proche du FN, fermé fin juillet 2011 pour avoir
trop bruyamment applaudi au tueur dOslo), Kadhafi était traité tout au
long de lannée de « déchet » et sa mort était vivement souhaitée : «
Ca ferait une crevure en moins. »
Marine Le Pen a tenté de résoudre ce
dilemne structurel, en adoptant une position non interventionniste dans
le conflit libyen. Depuis le début des opérations militaires de lOTAN
en Libye, en mars 2011, elle avait ainsi expliqué que les intérêts
nationaux français nétaient pas concernés. Prenant au mot la
justification officielle de lintervention venir en aide à des
rebelles ou populations menacées, sauver les droits de lhomme -, elle
fit entendre à son électorat que largent français était trop précieux
pour être gaspillé pour de telles « utopies ».
De telles balivernes
droitdelhommistes risquant, selon elle, de coûter cher au Français.
Le FN était ainsi le parti qui réclama le plus bruyamment la fin rapide
de lintervention (la gauche, quant à elle, étant divisée entre un refus
des solutions militaires et une volonté daider les rebelles libyens en
danger). A la sortie du conflit, Marine Le Pen tente encore de
triompher. Lundi 24 octobre 2011, « Le Monde » met ainsi sa photo sur la
« Une » de son site Internet pour illustrer les oppositions françaises à
lintervention en Libye, mettant dailleurs sur un pied dégalité les
critiques de lextrême gauche et celles du FN.
A lheure où le
président du « Conseil national de transition » libyen, M.Abdeljelal,
ancien ministre de la justice de Kadhafi, proclame que la charia allait
inspirer les futures lois libyennes ( ce qui était déjà en partie le
cas dabord en 1973 puis dans les années 90 ), Marine Le Pen se campe
en Cassandre : Avez-vous vu ?, demande-t-elle ainsi publiquement, la
Libye va toute droit vers « une dictature islamiste ». CQFD,
puisquaucune autre alternative politique en dehors des dictatures
autoritaires sortantes ne semble exister à ses yeux pour les pays
arabes.
Le crédo du FN est simple : pour « ces gens là » hors des dictatures point de salut !
Tout
récemment encore Jean Marie Le Pen a déclaré « légitime » le
gouvernement syrien « dans sa lutte contre les bandes armées qui veulent
semparer du pouvoir » (Libération du 29/30 Octobre 2011)
Nous,
antifascistes, combattons cette idéologie qui fleure bon le racisme
néocolonial. Nous sommes aux côtés des peuples arabes qui brisent les
chaînes de leurs dictatures et nous nous efforçons de construire des
nouvelles solidarités, des nouvelles passerelles. Des ponts sur la
Méditerranée , pas des murs.