(par J.Y. Camus)
La volonté exprimée par Marine Le Pen de
normaliser le Front national a pour effet automatique de créer un petit
espace politique à sa droite. Phénomène qui, en retour, permet au FN de
crédibiliser son « recentrage » en expliquant quil existe plus radical
que lui. Quelle est la cartographie actuelle de lultra-droite
française ? Quels sont ses rapports avec le FN et quel est son avenir ?
Élaboré par le groupe antifasciste radical REFLEX en octobre 2011, le
document ci-joint est un organigramme de cette nébuleuse éclatée. On
peut le lire comme la preuve que le FN reste au centre du paysage. Mais
aussi comme un signal quaprès avoir été, de 1972 à ces dernières
années, une organisation- parapluie vers laquelle convergeaient toutes
les radicalités (nationalisme-révolutionnaire ; néo-fascisme ;
intégrisme catholique entre autres), celles-ci sexpriment désormais de
manière autonome.
Les ostracisés :
Premières victimes des exclusions décidées par Marine Le Pen en 2011, ces militants qui avaient un pied au FN et lautre à luvre française,
mouvement qui se réclame de « la mystique du territoire prônée par
Barrès, lempirisme organisateur de Maurras, les nouveaux aperçus
sociologiques révélés notamment par Drumont, Carrel, Coston, Bardèche ».
Lancien franciste Pierre Sidos, qui la fondée en 1968, en a laissé la
présidence en février 2012 à un exclu du FN, Yvan Benedetti. Luvre
française marche main dans la main avec un autre ancien frontiste : le
conseiller régional de Rhône-Alpes Alexandre Gabriac, dirigeant des Jeunesses nationalistes.
Au FN, le dernier exclu pour cause de double appartenance a été, le 17
février 2012, Laura Lussaud, membre du comité central. Il faut dire que
quelques jours auparavant, le congrès de lOF avait voté une déclaration
finale indiquant : « Ce que lon désigne sous le vocable de communauté
internationale nest que le syndicat de défense de cette finance
mondialisée et de lentité sioniste de Palestine ». Les quelques
dizaines de membres du Parti Nationaliste Français sont
orphelins depuis le décès fin janvier 2012 de lancien Waffen SS
doriotiste Jean Castrillo, qui en était lanimateur. Orateur habituel de
la commémoration en lhonneur de Robert Brasillach chaque 6 février, il
dirigea jusquà sa mort le bimensuel Militant, qui servit de bulletin intérieur au FN avant de sen séparer en 1980.
Les catholiques intégristes néo-fascistes du Renouveau français,
qui avaient pris le parti de Bruno Gollnisch sont eux aussi tenus à
distance. Il est vrai quaprès avoir pris part aux manifestations contre
le Théâtre de la Ville à Paris, puis à la Marche pour la Vie des
anti-avortement, ce RF vient de commémorer
lanniversaire du coup de
force antirépublicain manqué du 6 février 1934.
Les frères- ennemis :
Au plan électoral, la candidature de Carl Lang, ancien numéro trois du FN devenu président du Parti de la France
(PDF), nest pas certaine daboutir. Alors quil tient meeting à Paris
le 3 mars, son entourage assure disposer de 350 parrainages, soit une
perte non négligeable pour Marine Le Pen. Le PDF campe sur les
fondamentaux frontistes des années 80-90. Il participe à une structure,
la Nouvelle Droite Populaire (NDP), qui agrège également les restes du MNR mégretiste et Pierre Vial, président du mouvement völkisch Terre et Peuple. Le porte-voix officieux de cette tendance est lhebdomadaire Rivarol,
vendu en kiosques Pour donner une idée du contenu, citons le sommaire
du 24 février : Lobby gay et lobby juif : loverdose ! ; LIran a brisé
lidole de lholocauste ; Les Droits de lHomme contre la
civilisation.
Combat pour les ultras
Le contrôle de quelques centaines de
militants décidés, à qui la rue ne fait pas peur et que les lois
antiracistes nempêchent pas de faire surenchère de radicalité, voilà
qui est propre à déclencher une des guerres internes qui, au fond,
limitent au moins les capacités de nuisance de la droite la plus
extrême. Les groupes à contrôler sont le Front comtois (Franche-comté) ; Lyon dissident, Vlaams Huis/Maison de lArtois (Lille et Pas de Calais). Ils sont actuellement dans lorbite de Troisième voie,
le mouvement de Serge Ayoub, qui vend depuis peu en kiosques son
journal Salut public. Bien quayant reçu Marine Le Pen le 28 juin 2008
dans sa salle parisienne appelée Le Local, Ayoub,
figure historique du milieu skinhead puis nationaliste- révolutionnaire,
penche désormais vers la NDP. Dans la région de Lyon, devenue
lépicentre de la radicalité et où le niveau de violence physique a
dangereusement augmenté ces derniers mois, les Jeunesses nationalistes
espèrent elles- aussi sallier avec Lyon dissident et les néo-nazis
négationnistes de la Fraternité des Artamans.
Le GUD, proche du FN à Paris, ennemi à Lyon
Lors du meeting de campagne de Marine Le Pen à Lille, plusieurs militants connus du GUD
parisien ont été vus en compagnie des dirigeants des « Jeunes avec
Marine » : leur soutien à la candidate FN est assumé. En revanche la
direction du Front national de la Jeunesse a interdit par voie de
circulaire aux étudiants frontistes lyonnais de présenter des listes
communes avec des « groupuscules ennemis » aux élections universitaires.
Une mesure qui vise en priorité les Jeunesses nationalistes mais par
ricochet le GUD lyonnais, la proximité entre les deux groupes étant
avérée.
La mouvance identitaire
Le label « identitaire » sapplique à plusieurs mouvements. Au Bloc identitaire
dabord, qui vient de consulter ses adhérents pour sonder leur
préférence en vue de la présidentielle. Résultat : 62,6% ont préféré
quil ny ait pas de consigne de vote contre 33,5% qui souhaitaient
soutenir Marine Le Pen, un choix clairement assumé par Nissa Rebella,
la branche niçoise du Bloc dirigée par Philippe Vardon. Avec le FN, les
points de divergences portent notamment sur lEurope et la place des
identités régionales.
La revue trimestrielle Réfléchir et Agir,
dont le dernier numéro présent en kiosques comprend une interview du
sociologue Michel Maffesoli ( il y est beaucoup question dune
« tradition judéo-chrétienne » quil naime guère) saffirme
« ouvertement européenne, païenne, identitaire, socialiste et
anti-capitaliste ». Comme le Mouvement dAction Sociale,
R & A sinspire beaucoup du mouvement italien Casapound qui se
rattache au fascisme de la République de Salo et investit le terrain des
luttes sociales comme de lavant-garde culturelle.